
Loranger - Permaculture
Planification et consultation
Menaces pour les abeilles

Compte tenu des nombreux services offerts par les abeilles à miel, il est malheureux de constater la façon dont nous les traitons si souvent. En effet par certaines de nos activités, nous mettons en danger leur existence et même la pratique de l’apiculture. Aux États-Unis par exemple, les colonies d’abeilles à miel meurent à un taux beaucoup plus élevé que la normale, des valeurs entre 30 et 45% de pertes par année étant régulièrement rapportées à une échelle nationale. Ce phénomène est connu sous le nom Syndrome d’Effondrement des Colonies (SEC) et ses causes sont incertaines, quoique la plupart des scientifiques s’accordent pour dire qu’un éventail de menaces jouent certainement un rôle.
Premièrement, il y a évidemment l’exposition directe et chronique aux pulvérisations chimiques dans les champs, les jardins et les espaces publics (1,2). Ces pulvérisations contaminent aussi le nectar et le pollen collectés et ingérés par les abeilles (3). Les néonicotinoïdes en sont un exemple notoire, agissant comme neurotoxines et pouvant potentiellement même à très petite dose tuer des millions d’abeilles (4,5). Ces poisons sont donc ramenés à la ruche, bousillant les systèmes nerveux et d’orientation de toutes les abeilles dans la colonie. Celles sévèrement affectées ont des capacités réduites pour apprendre, se nourrir et retrouver la ruche, menaçant leur survie même à des doses sous-mortelles (5,6). De plus, les néonicotinoïdes ne nuisent pas seulement aux abeilles, mais aussi à une grande variété d’autres animaux, incluant d’autres invertébrés comme les bourdons et les papillons, les oiseaux et possiblement les chauve-souris (2,7).
Les pulvérisations chimiques ont aussi l’important effet négatif indirect de détruire de précieuses sources de nectar (1,8). Ceci mène à une seconde menace majeure pour les abeilles à miel: le manque dramatique de nourriture et la malnutrition qu’elles connaissent. Ceci est principalement causé par deux facteurs. Premièrement et comme nous venons de le mentionner, il y a la dégradation des habitats floraux naturels à travers l’utilisation de pesticides et d’autres activités humaines. Le deuxième est l’existence prévalente de grandes monocultures dans l’agriculture d’aujourd’hui (9). Comme nous, les abeilles ont besoin d’une diète variée pour être en santé (3,10): nous ne serions pas très en forme si nous nous nourrissions que de sucre blanc et de gras pur. De plus, une grande monoculture ne fournit une abondante source de nourriture que pour une durée de temps limitée alors que les abeilles on besoin d’une diète variée tout au long de leur saison active.

Ces grande monocultures ne sont donc pas suffisantes pour permettre aux abeilles de survivre toute l’année, ce qui force beaucoup d’apiculteurs fournissant des services de pollinisation à imposer un style de vie migratoire sur leurs ruches. Ceci se traduit en plusieurs problèmes tels que des fluctuations de température et de mauvaises conditions sanitaires, ce qui réduit davantage la résilience des abeilles à d’autres conditions difficiles et mène communément à 10% de mortalité des colonies après transportation (1). Un autre problème avec ce style de vie migratoire est une exposition accrue aux pathogènes et aux parasites qui sont alors répandus plus facilement dans les points de rencontres où des milliers de ruches sont rassemblées chaque année pour être ensuite redistribuées. Malheureusement, des parasites tels que la varroa jouent probablement un rôle important dans le phénomène de SEC (10,11), bien que les traitements chimiques communément utilisés contre elle accentuent aussi la mortalité des colonies (10,12).
Une autre menace reliée à la gestion des ruches est le fait que pour maximiser les profits, plusieurs apiculteurs récoltent tout le miel qu’ils peuvent, n’en laissant aucun aux abeilles pour l’hiver. Ils les nourrissent au lieu avec du sirop de maïs à haute teneur en fructose (SGHF) ou d’autres substituts. Alors qu’il ait considéré que les avantages nutritionnels du miel fournissent des défenses accrues aux abeilles, le SGHF pourrait amoindrir leur système immunitaire et donc réduire davantage leur habileté à combattre ou gérer les maladies, les parasites et l’ingestion de pesticides (13).

La pollution de l’air créée par nos industries est une autre menace pour les abeilles. En effet, les abeilles et autres pollinisateurs suivent les pistes olfactives émises par les fleurs pour les trouver. Par contre, la pollution de l’air, même à des niveaux modérés, dégrade ces pistes florales volatiles ce qui peut grandement confondre les pollinisateurs et augmenter le temps qu’ils passent à chercher pour leur nourriture, affectant potentiellement leur résilience et leur condition physique générale (14,15).
Puis il y a les évènements climatiques extrêmes qui se produisent de plus en plus souvent tels que la sécheresses ou les fortes pluies qui affectent toutes deux la disponibilité de nectar et de pollen et donc diminue davantage la disponibilité de nourriture pour les abeilles, ou encore des fluctuations anormales des températures, ce qui impacte la durée de vie des abeilles ainsi que la végétation sur laquelle elles dépendent (1,10).
Comme si les effets singuliers de ces menaces n’était pas assez (et la liste n’est pas exhaustive), ces effets ne sont pas toujours additifs, ils interagissent (voir p. ex. la référence 3). Nous en décrivons ici seulement quelques exemples. Premièrement, il y a une synergie entre certains pesticides et fongicides qui peut accroître leur toxicité respective (3,4). Cette synergie se produit aussi entre les pesticides agricoles et les acaricides (utilisés contre la varroa; 3). Certaines combinaisons peuvent même mener jusqu’à une augmentation de la toxicité de l’ordre de 1000 (16).
Finalement des combinaisons de menaces, particulièrement entre les pesticides, la malnutrition et les parasites, sont fortement associées avec une augmentation de la mortalité des abeilles et le SEC (3,4,11). Par exemple, lorsque combinés, l’exposition aux pesticides et aux pathogènes peuvent doubler la mortalité des abeilles, affectant aussi des fonctions vitales dans la colonie (17). Pettis et al. (18) ont de plus trouvé que du pollen avec des traces de pesticides ou de fongicides augmente double le risque pour les abeilles de contracter des pathogènes. Il est donc malheureux qu’ils aient aussi détecté des traces de 35 différents pesticides dans leurs échantillons de pollen! La malnutrition semble aussi réduire la résistance des abeilles aux pesticides et aux pathogènes (3).
Notez que beaucoup de statistiques présentées ici proviennent d’études menées aux États-Unis. Bien que souvent pas aussi critique, la situation est semblable en Europe et le SEC est largement répandu (10). En Europe, les politiques agricoles sont souvent plus intelligentes et plus strictes et les taux de mortalité des colonies sont moindre, bien qu’encore inquiétants (1). Notez aussi que les abeilles sauvages et d’autres insectes sont menacés par plusieurs de ces mêmes menaces et qu’eux aussi nous offrent de précieux services (19-22). En Allemagne par exemple, il a été démontré que plus de 75% des insectes volants ont disparu durant les 27 dernières années, affectant potentiellement le fonctionnement de plusieurs écosystèmes (7).
Évidemment, il y a plusieurs autres facteurs qui peuvent affecter la mortalité des abeilles et beaucoup plus de recherche est nécessaire pour obtenir une évaluation plus complète de la situation (10). Toutefois, avec ce que nous savons déjà, il y a plusieurs solutions à notre disposition qui peuvent nous aider à créer des habitats plus sains pour nous autant que pour les insectes en général. Ces solutions sont sécuritaire, ne peuvent que nous aider et nécessite principalement la volonté de changer certaines de nos habitudes…c’est là que la permaculture peut jouer un rôle important.
Références
-
Kluser et al. 2010. UNEP 2010 - UNEP Emerging Issues: Global Honey Bee Colony Disorder and Other Threats to Insect Pollinators.
-
Task Force on Systemic Pesticides. 2015. Worldwide integrated assessment of the impacts of systemic pesticides on biodiversity and ecosystems, 175 pp.
-
Thompson. 2012. Interaction between pesticides and other factors in effects on bees. Supporting Publications, 2012:EN-340, European Food Safety Authority, 204 pp.
-
Hopwood. 2012. Are neonicotinoids killing bees? A review of research into the effects of neonicotinoids insecticides on bees, with recommendations for action. The Xerces Society for Invertebrate Conservation, 44 pp.
-
Goulson. 2013. Neonicotinoids and bees: What's all the buzz? Signigicance, June: 5-9.
-
Henry et al. 2012. A common pesticide decreases foraging success and survival in honey bees. Sciencexpress, doi: 10.1126/science.1215039.
-
Hallmann et al. 2017. More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PlosONE, doi: 10.1371/journal.pone.0185809.
-
Benbrook. 2009. The Organic Center: Critical issue report, 69 pp.
-
Spivak et al. 2011. The plight of the bees. Environmental Science & Technology 45: 34-38.
-
Haubruge et al. 2006.. Notes fauniques de Gembloux 59: 3-21.
-
Le Conte et al. 2010. Apidologie 41: 353-363.
-
Hawthorne and Dively. 2011. Killing them with kindness? In-hive medications may inhibit xenobiotic efflux transporters and endanger honey bees. PLoS ONE, 6, e26796.
-
Mao et al. 2013. Honey constituents up-regulate detoxification and immunity genes in the western honey bee . PNAS 110: 8842-8846.
-
McFrederick et al. 2008. Air pollution modifies floral scent trails. Atmospehric Environment 42: 2336-2348.
-
Fuentes et al. 2016. Air pollutants degrade oral scents and increase insect foraging times. Atmospheric Environment 141: 361-374.
-
Iwasa et al. 2004. Mechanism for the differential toxicity of neonicotinoid insecticides in the honey bee, . Crop Protection 23: 371-378.
-
Alaux et al. 2010. Interactions between microspores and a neonicotinoid weaken honeybees (). Environmental Microbiology 12: 774-782.
-
Pettis et al. 2013. Crop pollination exposes honey bees to pesticides which alters their susceptibility to the gut pathogen . PLoS ONE, 8: e70182.
-
Steffan-Dewenter et al. 2005. Pollinator diversity and crop pollination services are at risk. Trends in Ecology and Evolution 20: 651-652.
-
Losey and Vaughan. 2006.. BioScience 56: 311-323.
-
Garibaldi et al. 2013. Wild pollinators enhance fruit set of crops regardless of honey bee abundance. Sciencexpress, doi: 10.1126/science.1230200.
-
Rader et al. 2016. Non-bee insects are important contributors to global crop pollination. PNAS 113:146-151.